QU’EN EST-IL DE LA PROPOSITION DE LOI FRANÇAISE SUR LA SÉCURITÉ GLOBALE ?

Par Morgane Cozic*

Ph.: Stéphane de Sakutin, AFP

Le 15 avril 2021, le Parlement français a définitivement adopté la proposition de loi sur la sécurité globale. Cet ultime vote de l’Assemblée sonne comme l’étape la plus importante de l’élaboration d’une des lois les plus controversées que la France ait connu cette dernière décennie. Et presque aucun média français n’en a parlé.

Le texte a été déposé le 20 octobre 2020 par notamment deux députés, Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, partisans du groupe La République En Marche d’Emmanuel Macron. Si le concept de cette loi repose sur l’idée qu’il convient de mieux articuler le travail entre les forces de l’ordre (police, gendarmerie, police municipale, et le secteur de la sécurité privée), les nombreux changements juridiques qu’elle implique font tiquer la plupart des opposants d’Emmanuel Macron. En effet, nombreux sont les dispositifs de cette proposition de loi qui mettent en danger les libertés fondamentales des Français, tels que le droit de manifester, le droit de s’informer ou encore le droit à la vie privée.

Ainsi, la proposition de loi admet en son article 22 l’usage de drones équipés de caméras dans presque tout l’espace public, notamment lors de manifestations. Or, apparentés à des instruments d’intimidation, ils pourraient dissuader les personnes de manifester, par crainte que les images collectées ne soient plus tard utilisées à leur encontre. Le 22 décembre 2020, le Conseil d’Etat français avaient d’ailleurs jugé illicite l’utilisation de drone comme moyen de surveillance de manifestations. Ainsi, les images collectées par les drones pourraient révéler les opinions politiques, religieuses ou syndicales de personnes, mais la loi ne prévoit aucune protection particulière de ces données sensibles, ne respectant dès lors pas les règles françaises et européennes s’appliquant au traitement des données personnelles (tel que le « General Data Protection Regulation 2016-679 »). C’est pourquoi, dans son avis du 26 janvier 2021, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des liberté) a affirmé que ce dispositif ne portait pas seulement atteinte au droit à la vie privée, mais menaçait également les libertés d’expression, d’opinion et de manifestation.

La proposition de loi sur la sécurité globale admet également l’usage généralisé de caméras piétons et de caméras embarquées sans pour autant limiter l’usage de la reconnaissance faciale. De même, la loi n’empêcherait pas de confier le visionnage et le traitement des données à des acteurs privées, puisque la sous-traitance n’est pas explicitement interdite par le texte. D’ailleurs, l’amendement de Philippe Latombe, visant à interdire cette sous-traitance, a été rejeté.

D’autres dispositions du texte ont également été fortement contestées, tel que l’article 25 autorisant les membres de la police ou de la gendarmerie nationale à porter leurs armes hors service, ou encore l’article 23 introduisant la suppression automatique des réductions de peine pour les personnes condamnées pour violence ou menace à l’encontre des forces de l’ordre. A cet égard, Claire Hédon, la défenseure des droits de la République française a estimé que cet article pose « un risque d’atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi, de nécessité des peines, de proportionnalité et d’individualisation des peines ».

Enfin, l’article 24 de la proposition de loi est le plus contesté de tous. Il interdit et pénalise la diffusion d’image de policiers ou de gendarmes en service, et porte dès lors « une atteinte au droit à la liberté d’expression, laquelle inclut la liberté d’informer » selon Dunja Mijatović, la commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Vivement opposés à cet article, d’autres acteurs s’en sont indignés, tel que la Commission européenne ou le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, plaçant la France en contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette interdiction de diffusion semble également être un affront à la population française, dans un contexte de crise de confiance avec les forces de l’ordre. N’oublions pas en effet les trop nombreuses vidéos de « bavures policières » (expression française de minimisation des violences policières), filmées lors de manifestations ou d’interpellations, et grâce auxquelles plusieurs policiers ont d’ailleurs pu être incriminés. Dès lors, cet article 24 porte « une atteinte évidente au principe de légalité des délits et des peines, au droit à la sûreté (…) ». C’est en ces mots que le 20 avril 2021, 87 députés ont annoncé avoir déposé un recours devant le Conseil constitutionnel, sonnant comme l’ultime espoir d’un retour en arrière.

Bibliographie:

* Spécialiste en droit des étranger, détentrice d’un master de droit européen de l’Université Paris XII, France.

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