Proposition de loi Sécurité globale : les députés français se sont présentés devant le Conseil constitutionnel

Par Morgane COZIC*

En France, 87 députés de gauche, du centre et écologistes ont saisit le Conseil constitutionnel le 20 avril 2021 afin de contester la proposition de loi « Sécurité globale » adoptée par le Parlement cinq jours plus tôt.

Mercredi 5 mai, six d’entre eux se sont présentés personnellement devant le Conseil afin de défendre leur recours. Port d’arme hors service autorisé, surveillance de la population par des drones, interdiction de diffusion d’images de policier etc., les députés affirment que « cette proposition de loi porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit », et qu’elle pourrait remettre en cause l’Etat de droit en France.

La saisine constitutionnelle étant la dernière étape avant la promulgation de la loi, plusieurs recours ont déjà été déposés devant l’institution suprême. Le 22 avril 2021 le premier ministre Jean Castex a ainsi saisi le Conseil afin de vérifier la constitutionnalité de l’article 24 qui concerne l’interdiction de la diffusion d’images de policiers ou de gendarmes. Avant lui, 90 sénateurs socialistes, communistes et écologistes se sont attaqués à 16 articles de cette proposition de loi, affirmant dans leur lettre de saisine que, « davantage d’une loi de « sécurité globale » il s’agit d’une loi versant dans la « surveillance totale » ». Les membres de la coordination « Stop loi sécurité globale », composée de la ligue des droits de l’homme, du syndicat de la magistrature, du syndicat des avocats et du syndicat des journalistes, ont également déposé un recours le 29 avril 2021.

Si le Conseil n’a pas encore rendu sa décision, plusieurs arguments juridiques pourraient le pousser à reconnaitre certains articles inconstitutionnels.

Ainsi, l’article 1ier prévoit une expérimentation visant à renforcer les prérogatives des polices municipales, les autorisant à procéder à des constats de délits ou actes de procédures qui étaient jusqu’ici réservés à la police judiciaire. L’article pourrait être jugé contraire à la Constitution française, en ce qu’il prévoit cette expérimentation de l’étendu des pouvoirs aux polices municipales sur une unique partie du territoire. Or, le Conseil a déjà affirmé à plusieurs reprises (CC, 2009-584 DC, 16 juillet 2009; CC, 2019-778 DC, 21 mars 2019) que les expérimentations, si elles peuvent avoir lieu, ne doivent pas méconnaitre les principes d’indivisibilité du territoire et d’égalité des citoyens devant la loi. L’article 1ier ne semble en l’espèce pas se conformer à ces exigences.

Le titre III de la proposition de loi concernant la vidéoprotection et la captation d’images pourrait être également jugé inconstitutionnel par le Conseil, qui considère que les systèmes de vidéosurveillances affectent la liberté d’aller et venir, le droit à la vie privée ainsi que l’inviolabilité du domicile. Pour être utilisés, ils doivent respecter de strictes conditions et offrir de suffisantes garanties (CC, 94-352 DC, 18 janvier 1995). Le Conseil a également affirmé que les mesures de surveillance généralisées sont susceptibles de porter atteinte à la liberté d’expression et de manifestation (CC, 2019-796 DC, 27 décembre 2019). En outre, l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne assure la protection des données à caractère personnel, et la Cour de justice de l’Union a déjà considéré que l’image d’une personne enregistrée par une caméra constitue une telle donnée. En l’espèce, le titre III de cette proposition de loi pourrait être jugé inconstitutionnel par la Cour en ce qu’il ne délimite pas le champ de pouvoir des personnes accédant aux images, et autorise la délégation de missions de surveillance à des personnes privées.

Enfin, l’article 24 pourrait être également rejeté par la Cour. Il instaure une peine de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 75 000 € pour toute « provocation dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale […] (agissant) dans le cadre d’une opération de police ». Or, la loi ne défini pas clairement le terme de « provocation ». Puisqu’il existe déjà de nombreux délits de nature à répondre au même intérêt social, le risque de confusion et d’insécurité juridique est présent, alors même que  « l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi sont des objectifs de valeur constitutionnelle » (CC, 421 DC, 16 décembre 1999). D’après un rapport de l’ONU, les termes de l’article 24 sont insuffisamment précis et pourraient, « contrairement aux exigences de légalité, décourager, voire sanctionner ceux qui pourrait apporter des éléments mettant en avant une possible responsabilité des forces de maintien de l’ordre dans les violations des droits de l’Homme. »

Le Conseil constitutionnel devrait rendre sa décision d’ici un mois car c’est le délai qui lui est imparti lorsqu’il est saisi de la constitutionnalité d’une loi avant sa promulgation.

Bibliographie:

  • Assemblée Nationale N°3452, Proposition de loi relative à la sécurité globale in www.assemblee-nationale.fr

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3452_proposition-loi#D

  • Rapport de l’ONU sur la proposition de loi n°3452 relative à la sécurité globale, OL FRA 4/2020, Mandats de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste; de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression; et du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=25705

* Spécialiste en droit des étranger, détentrice d’un master de droit européen de l’Université Paris XII, France

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