Le pouvoir de nomination du Président de la République des juges de la Cour constitutionnelle: la Commission de Venise résout le blocage institutionnel de la République Slovaque (Opinion n. 772/2014)
Francesca Romana Dau
25 août 2014
La Constitution de la République slovaque du 3 septembre 1992, dans sa rédaction issue de 2001, prévoit en son article 102.1 que les treize juges de la Cour constitutionnelle sont nommés par le Président de la République pour un mandat de douze ans, sur proposition du Conseil national de la République (Narodna Rada), le Parlement monocaméral.
La procédure de nomination se décompose en deux étapes décrites à l’article 134 de la Constitution. Dans un premier temps, le Conseil national établit une liste de candidats composée d’un nombre équivalent au double des juges à nommer, c’est-à-dire vingt-six si le mandat des treize juges expire au même moment, ou dix, si par exemple, il n’y a que cinq juges à nommer. La deuxième étape consiste en la nomination des juges proprement dite, parmi les noms proposés par le Conseil national. Cette nomination relève du choix discrétionnaire du Président. Après la nomination, les juges doivent prêter serment devant le Président de la République et ils prennent ensuite leurs fonctions judiciaires. Considérant la légitimité démocratique des deux institutions participant à la procédure de nomination, chacune des deux étapes se déroule d’une façon autonome, voire indépendante. C’est-à-dire qu’en cas d’expiration du mandat de l’un de ces organes, l’autre est censé exercer son pouvoir de nomination pleinement et sans ingérence aucune dans le pouvoir de nomination de l’autre organe. Dans le cas qui nous occupe ici, la composition du Conseil national de la République avait été renouvelée en mars 2012. Sa légitimité démocratique se trouvait dons en pleine exercice.
Dans le cas porté devant la Commission de Venise, la République slovaque se trouva pour la première fois face à une situation de blocage institutionnel dans la mesure où l’expiration du mandat de trois juges constitutionnels était concomitante avec l’élection du nouveau Président de la République et de sa prise de fonctions.
Toutefois, parmi les quatre questions posées par le ministre de l’intérieur slovaque, une seule, la deuxième demande, mérite d’être analysée ici en détail, les autres trois auraient pu trouver une réponse implicite ou explicite dans la Constitution.
La première question consistait à demander si le Président de la République sortant avait le pouvoir de nommer les juges constitutionnels dans les derniers jours de son mandat, ou le jour même de l’expiration de son mandat. La Constitution d’apporte pas de réponse explicite à cette question. Toutefois, dans la mesure où elle ne prévoit pas explicitement que les pouvoirs du Président sont limités à l’approche de l’échéance de son mandat, il faut implicitement considérer que le Président jouit pleinement de toutes les compétences que lui attribue la Constitutions jusqu’au dernier jour de son mandat. La Commission de Venise a simplement indiqué que pour permettre le bon fonctionnement des institutions, dans une démarche de bonne coopération, le Président sortant pourra, pour des raisons politiques, décider spontanément de lui-même, de laisser la nomination des juges au Président nouvellement élu, ou au moins d’en discuter avec lui [par. 25 et 26]. Cependant, d’un point de vue strictement juridique, le Président sortant jouit pleinement de son pouvoir de nomination des juges constitutionnels jusqu’au dernier jour de son mandat.
La troisième demande consistait à savoir si le Président entrant pouvait refuser tous les candidats proposés par le Conseil national. La réponse est à chercher dans l’équilibre des pouvoirs établi par la Constitution et dans la coparticipation de ces deux organes ayant une légitimité démocratique à la procédure de nomination des juges de la Cour constitutionnelle, comme le dit l’article 101.2 de la Constitution, ci-dessous mentionné. Ce dit, la Commission de Venise souligne comme le contexte politique n’a aucune influence sur la procédure. On a dit précédemment que les deux phases de nomination étaient, au titre de la Constitution, autonomes l’une de l’autre. La Commission de Venise indique donc que le Conseil national établit sa liste et la transmet à la Présidence de la République comme la Constitution l’exige. La seule différence réside ici dans le fait que le Conseil national transmet sa liste à un Président dont il ne connaît pas encore l’identité, celui-ci n’étant pas encore élu [par. 33].
Enfin, la quatrième demande consiste à savoir si le Président de la République pouvait révoquer le Président et le Vice-Président de la Cour constitutionnelle et nommer deux nouveaux candidats à leur place. Il faut ici faire une distinction entre le mandat du juge et le mandat du Président/Vice-Président de la Cour constitutionnelle. L’article 138 traite explicitement les causes de destitution des juges. Il prévoit plusieurs causes limitativement énumérées : une condamnation définitive, des mesures disciplinaires, une absence répétée aux travaux de la Cour, et la perte des qualités requises pour l’éligibilité au Conseil national de la République slovaque. En ce qui concerne la révocation du Président et du Vice-Président de la Cour constitutionnelle, au contraire, la Constitution est muette. Dans l’article 102, qui règle cette hypothèse, il n’y a pas de causes explicites prévues. La Commission de Venise considère donc que, dans ce cas, le pouvoir discrétionnaire du Président de la République est plus ample mais doit être exercé en vue de « raisons objectives » [par. 42].
La question la plus épineuse, la deuxième, qui mérite d’être analysée ici en détail, concernait le pouvoir du Président de refuser de faire prêter serment aux juges nommés par le Président sortant et d’en choisir trois autres parmi les candidats de la liste proposée par le Conseil national. Dit autrement, il s’agissait de savoir si le pouvoir du Président de faire prêter serment aux juges constitutionnels est un pouvoir discrétionnaire ou non. À cette question, la Commission de Venise ne fait que reprendre mot pour mot, le contenu de la Constitution en soulignant qu’elle ne confère pas, ni explicitement ni implicitement, au Président entrant le pouvoir de refuser les juges nommés par le Président sortant, sauf dans les cas d’incompatibilité survenue ou pas encore détectée.
Arrivé à la fin de notre analyse, on peut se demander pourquoi le Gouvernement de la République slovaque a décidé de saisir une instance internationale au lieu de saisir une instance nationale, comme par exemple la Cour constitutionnelle elle-même, pour la résolution de ce conflit. La Cour constitutionnelle est compétente principalement pour juger en matière de conflits de constitutionnalité, mais au titre de ses autres attributions elle est censée régler les conflits de compétence entre les organes de l’administration centrale. En effet, dans ce cas, il s’agit d’une controverse entre les deux personnes physiques censées exercer la fonction de Président de la République á l’approche de l’expiration du mandat des juges en question. Ce n’est évidemment pas le cas d’un conflit entre organes de l’administration mais entre personnes physiques.
Sources :
European Commission for Democracy through Law (Venice Commission), Opinion on the procedure for appointing judges to the Constitutional court in times of presidential transition in the Slovak Republic, Opinion n. 772/2014, 13 June 2014 [CDL-AD(2014)-15].